mardi 8 décembre 2009

"Le plus important est d'avoir un rêve, une envie"

Claudie HaigneréClaudie Haigneré, ancienne ministre de la recherche et astronaute, partage ses plus belles expériences et nous livre son regard sur la réussite...

Racontez nous votre parcours ?

Je suis médecin en rhumatologie, docteur ès Neurosciences. J'ai exercé durant 8 ans au service rhumatologie de l'Hôpital Cochin. Je suis ensuite entrée au CNRS (centre national de la recherche scientifique) en tant que chercheur et c'est dans ce cadre que j'ai été sélectionnée comme candidate astronaute par le CNES (centre national des études spatiales) en 1985. A cette époque, ils recherchaient un profil de pilote et de scientifique pour mener à bien leur programme. Il y a eu 1000 dossiers remplis. Et 7 sélectionnés, dont moi. Je suis partie pour mon premier entrainement à la Cité des Etoiles à Moscou en 1992, où j'étais l'astronaute doublure de celui qui allait devenir mon mari, Jean-Pierre Haigneré. Entre-temps, j'ai travaillé au CNES dans le domaine de la science du vivant. Ma première mission a eu lieu en 1996. C'était à bord de la station MIR pour un programme de recherche. Pour ma deuxième mission en 2001, j'ai suivi un nouvel entraînement physique, physiologique et scientifique pour être ingénieur à bord de l'ISS. (station spatiale internationale)

Une fois vos missions achevées, qu'avez-vous fait ?

A la fin de mes missions, j'ai commencé mon rôle de relation publique et de transmission d'expériences dans différents débats et colloques. Jusqu'en 2002 où j'ai été appelée à entrer au gouvernement en tant que ministre de la recherche puis comme secrétaire chargée des questions européennes. Aujourd'hui, je suis conseillère à l'agence spatiale européenne. Je m'occupe principalement des questions européennes. J'œuvre aussi pour la promotion de la culture scientifique. Je suis membre du conseil d'administration de la Cité des Sciences et je suis la Marraine de la Cité de l'Espace. Je pense aussi rejoindre la fondation "Women Science" mise en place par L'Oréal et L'Unesco.

Et votre vie de famille dans tout ça ?

J'ai un mari astronaute avec qui j'ai la chance d'avoir une passion partagée. Nous avons pu être ensemble lors de nos entraînements à Moscou. Nous avons eu une petite fille, Carla, en 98. Elle a passé son enfance à Moscou avec nous à la Cité des Etoiles. Malgré la difficulté de notre travail et l'éloignement avec notre famille, nous avons toujours été soutenus et mis dans de bonnes conditions. Nous étions tout de même contents de revenir en France.

Quelle est l'expérience qui vous a le plus marquée ?

"Les femmes ont besoin de contacts humains dans leur vie professionnelle"

Mes trois ans en tant que Ministre. Cela a été plus difficile car ma fille était encore petite. On a franchi ce cap car j'ai un mari formidable qui s'est bien occupé d'elle. Cette expérience politique m'a beaucoup apportée. C'est formidable d'avoir à la fois les idées et les impulsions. Même s'il est vrai qu'à l'époque, la recherche n'était pas perçue comme une priorité et que les budgets n'étaient pas assez importants. Mais ce que j'ai apprécié, c'est la diplomatie et la négociation d'objectifs nationaux au niveau européen. Il faut négocier, faire avancer les projets… Et je pense que, sur ce point, les femmes sont meilleures. Plus que des compromis, nous parvenons à obtenir des consensus. Mes deux missions spatiales sont aussi des moments très forts. C'est un monde à découvrir. On vit à côté de héros et de mythes. Regarder la Terre à travers le hublot, être en apesanteur… c'est un peu de la science-fiction. Même si, à un moment donné, cela devient opérationnel, on reste toujours un peu dans un rêve.

Vous avez côtoyé deux univers très masculins (la science et la politique), qu'en retenez-vous en tant que femme ?

En ce qui concerne le métier d'astronaute, le fait d'être une femme n'est pas un handicap. Ce qui compte avant tout, c'est la notion d'équipe. J'ai donc toujours eu l'impression d'être un élément du succès. L'essentiel, c'est la compétence. Pour une femme, il faut avoir le bon bagage ainsi qu'une stratégie. Jamais on ne donnera à une femme un poste où elle n'a pas montré ses compétences. Elle ne doit pas hésiter à pousser les portes. Et je constate que beaucoup de jeunes filles n'osent pas, peut-être à cause de certaines représentations. Pour ce qui est du domaine de la science, je crois que les femmes ont une idée faussée des métiers de la recherche, celle du scientifique seul dans son laboratoire en blouse blanche. Mais être chercheur, c'est travailler en équipe. Je dis cela parce que je sais que les femmes ont besoin de contacts humains dans leur vie professionnelle.

Quelles étapes avez-vous dû franchir pour accéder à toutes ces responsabilités ?

J'ai eu beaucoup de chance. Il en faut un peu pour arriver major d'une promotion de 600 élèves. Mais j'ai toujours été une bosseuse. J'ai fait preuve d'ouverture d'esprit et j'ai rencontré des gens qui m'ont aidée à avancer. Et puis, il y a aussi une part de choix. J'ai accepté de faire 10 années d'étude et lors de la réalisation de ma thèse, j'ai bien ciblé mon thème sur le milieu de l'espace.

Claudie Haigneré
Claudie Haigneré lors de sa mission en 2001 © ESA/CNES-Star City ESA

Comment vous engagez-vous auprès des femmes ?

Je constate qu'il y a un gros déficit de parité en science. Sur les 450 astronautes à travers le monde, seulement 40 sont des femmes. C'est pour cela que j'ai mis en place le Prix Irène Joliot-Curie qui récompense les femmes scientifiques. J'agis aussi pour aider les jeunes à s'engager et leur permettre de concilier leur vie privée avec une certaine reconnaissance professionnelle. En ce qui concerne ma fille, je lui apprends tout simplement la curiosité !

Durant toute votre carrière, avez-vous réussi à vous accordez du temps pour vous ?

Vivre "pour moi" ne m'intéresse pas. Le shopping, je n'ai jamais été douée pour ça et puis, pour le coiffeur, c'est parfois mon mari qui me dit d'y aller. Le sport, je n'en fais pas non plus. Avec le travail, les amis, la famille… il ne me reste plus beaucoup de temps pour moi. Les seuls moments que j'essaye de conserver, ce sont mes moments de lecture.

Quels conseils donneriez-vous aux femmes qui rêvent de devenir astronaute ?

Les qualités qui s'imposent sont bien évidemment les compétences techniques, l'ouverture d'esprit et l'envie de partir ailleurs. La solidité psychologique et la détermination sont aussi des facteurs importants. Mais je dirais qu'au sein d'un équipage, une femme amène un vrai plus. Elle apaise, donne de l'humanité, les hommes font plus attention dans leur façon de parler…

Que pensez-vous de la parité au sein des entreprises et en politique ?

Je constate que les sociétés se mobilisent. Selon moi, pour développer la parité au sein des entreprises, il y a trois étapes à franchir. Tout d'abord, les professionnels doivent se rendre dans les établissements scolaires pour présenter leur métier et faciliter l'orientation et l'engagement des jeunes. Ensuite, les entreprises doivent proposer plus de flexibilité ainsi que des crèches pour les enfants de leurs employés. Et pour finir, les femmes doivent être mieux reconnues. Ces dernières sont encore trop souvent freinées par ce que l'on appelle le "plafond de verre". Et pourtant, comment ne pas constater l'enrichissement qu'apporte la diversité. C'est grâce à la diversité des approches que l'on parvient à trouver plus facilement des solutions. En ce qui concerne la politique, la France est très mal placée au niveau européen en terme de parité et cela n'est pas normal. Aujourd'hui, la limite vient du manque de reconnaissance pour les femmes et du fait que les étapes à franchir sont difficiles. Je comprends la tentation des quotas, mais l'important est de tout faire ensemble. Il faut que les femmes aient envie d'accéder à ce genre de postes. Et pour cela, un petit coup de pouce est nécessaire. Je dirais aussi que les hommes doivent évoluer, dans leur couple notamment.

Quel conseil donneriez-vous aux femmes qui souhaitent s'épanouir dans leur travail ?

Le plus important, et c'est souvent ce que je dis aux jeunes, est d'avoir un rêve, une envie.

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